La bulle, phénomène physique désignant une « petite quantité de gaz dans une fine enveloppe sphérique », est devenue une image et un terme récurrents pour décrire certains phénomènes sociaux contemporains majeurs. Les bulles de savon ont pu incarner l’enfance et la poésie chez les peintres comme le français Chardin voire la maternité dans les œuvres japonaises de la période Edo à partir de 1600. Elles ont, dans le même temps, caractérisé la vanité humaine et l’impermanence de l’existence avec le Baroque et dans la peinture hollandaise du XVII eme siècle. Puis elles ont été mobilisées pour dénoncer le mensonge en politique dans les négociations internationales par exemple avec Napoléon 1er ou Nicolas II ou encore l’ivresse économique et la folie spéculative précédant les krachs boursiers de celui de John Law en 1720 à celui de la compagnie Lehman Brothers en 2008. Elles ont symbolisé au XX eme siècle l’isolement prophylactique pour les défenses immunitaires des « bébés bulles », et la protection sanitaire, plus ou moins respectée, contre la contamination notamment durant les dernières pandémies. Depuis le début du XXI eme siècle elles symbolisent d’une part le retranchement social des individus et la mise en relation orientée par les « bulles de filtrage » des réseaux sociaux numériques. D’autre part en tant que « bulles d’interdiction » elles désignent aussi des « zones à statut particulier » dans le cadre de la défense d’un territoire pour des évènements ou activités spécifiques ou durant les récents conflits en Ukraine et dans la bande de Gaza.
Quel est le rapport de ces bulles en tout genre avec les bulles papales ou d’Or du Saint Empire Romain germanique ? Quels liens avec celles des dialogues des bandes dessinées ou du design de la Pop Culture, de la bulle comme forme architecturale pour des constructions « harmonieuses » ou l’exploration des mondes aquatiques ou intersidéraux ? A partir d’un corpus sociologique et esthétique nous proposons de
1) retracer la généalogie des acceptions du terme du Moyen-Age à nos jours et l’élargissement progressif de ses sens et de ses représentations ;
2) d’appréhender les significations contemporaines de la bulle comme forme, discours, espace et politique et
3) d’estimer les possibles enseignements de ces représentations du monde pour notre futur individuel et collectif. Voulons-nous vivre dans des bulles ? La bulle est-elle dorénavant protectrice ou bien aliénante ? Est-elle douce ou dure, fragile ou étanche, folle ou raisonnable ? Matière à rêverie et à évasion ou enveloppe obsessionnelle de cauchemar ? Que dit la bulle des sociétés contemporaines ?
Marc Bernardot est professeur des Universités en sociologie à Aix-Marseille Université.
Il a dirigé le Centre méditerranéen de sociologie, de science politique et d’histoire (MESOPOLHIS UMR 7064) entre février 2021 et décembre 2023. Ses recherches portent sur la globalisation dans une perspective sémiologique et sociohistorique selon les trois axes de l’espace, des liens entre souveraineté et marché, de la culture. Ses publications couvrent ainsi un domaine situé à l’intersection de la sociologie urbaine et des mobilités, la sociologie de l’Etat et de la société de marché, la sociologie de la culture et des mobilisations.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Clôtures. Sociologie du confinement et de l’effacement » en 2023 (Éditions TERRA-HN), « Habitats non ordinaires et espace-temps de la mobilité » (2014), « Captures » (2012), » Camps d’étrangers », et de » Loger les immigrés. La Sonacotra 1956-2006″ en 2008 (Ed. du Croquant). Il a occupé la fonction de directeur de la publication des Éditions TERRA-HN (Marseille) entre 2015 et septembre 2022 et de rédacteur en chef de la revue Asylon(s).Digitales au cours de la même période.