L’inhumain : une réalité objective ?
« Je suis un homme ; je considère que rien de ce qui est humain ne m’est étranger », selon le vers du dramaturge latin Térence dans son Héautontimoroumenos. Or le titre de la pièce signifie en grec « bourreau de soi-même ». De fait, la comédie de Térence met en scène un père sévère qui, après avoir banni son fils, se punit de sa propre méchanceté en menant une vie dure. Aussi se trouve-t-il dans cet état d’âme – serait-ce le sentiment de culpabilité ? – ainsi décrit par Baudelaire dans le poème du même nom que celui de la pièce de Térence :
« Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau ! »
Si faire preuve d’humanité s’entend de l’attitude altruiste et bienveillante, on peut supposer que l’inhumanité serait le propre du contraire. Mais comment qualifier ce contraire ? On pourrait croire que la cruauté est ce qui contredit la bienveillance ; n’est-ce pas plutôt l’indifférence et le mépris ? L’adjectif « étranger » (« alienus » en latin) du vers de Térence suggère en effet davantage l’apathie que l’antipathie : là où je ne me reconnais aucun point commun avec l’autre, quand je suis dès lors incapable de me mettre à sa place, je ne suis pas même susceptible de haine à son égard, mais seulement d’indifférence. L’inhumanité serait-elle d’abord une forme d’insensibilité ?
Le thème de l’inhumain invite ainsi à interroger les diverses modalités de « l’autre » : est-il cet « alter ego » dans lequel je me reconnais ? Ou au contraire un pur étranger avec lequel je ne partage rien ? Et en retour, s’interroger sur la nature de l’autre implique de penser plus avant le sens de l’autodésignation : « Homo sum », « je suis un homme ».